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Etudes Corses, revue ethnographique. 1985

Dans sa préface à Marie di Lola, de Michèle Castelli, Fernand Ettori écrivait: "Nous sommes sûrs que la grand-mère a raconté la suite à sa petite-fille qui nous racontera un jour les heurs et les malheurs d'une acculturation dans cette grande ville (Marseille) soudain passée du mythe à la réalité". Voilà qui est fait et bien fait.

Rue Château-Payan achève le récit de l'humble vie de Marie Baldini, partie suivre son mari Jean à Marseille. C'est un aimable livre qui confirme le talent serein de Michèle Castelli. L'agencement du récit demeure dans ce second volet de l'histoire de Marie vif et clair. Le style demeure limpide et la trame transparente.

On peut faire naturellement de ce livre une lecture anecdotique agréable et simple. En 1921, Marie quitte L'Ile-Rousse pour Marseille. C'est un déracinement. La grande cité phocéenne lui fait connaître à la fois fascination et désarroi. Mal du pays bien sûr mais aussi vertige de la découverte. puis accaparement psychologique de cet espace neuf sans que la Corse, bien entendu, disparaisse de l'esprit. Des parents, des amis à leur tour débarquent et autour de Marie deviennent les acteurs d'un mode de vie nouveau, héritiers toutefois d'une culture indéracinable.Revenue un court temps à L'Ile-Rousse, marie consacre sa dernière visite au cimetière, songeant à "son heure" où il sera impensable qu'elle puisse reposer ailleurs qu' "in terra materna".

Mais les prolongements de ce récit, on s'en doute, dépassent en intérêt l'agrément de l'histoire. Le drame de l'exode corse du début du siècle, commencé d'ailleurs à la fin du précédent, est la véritable toile de fond de l'oeuvre. Et plus précisément la palce considérable qu'y tint Marseille.

En cela on tient en Rue Château-Payan un document qui, venu droit de Marie par les souvenirs contés à Michèle, éclaire de façon vive l'existence nostalgique, quoique souvent adaptée, de milliers de Corses partis quand il était devenu trop difficile de vivre au pays.

Marseille: la métropole continentale que sa proximité géographique, son essor maritime (Jean le mari est naturellement navigateur), ses relations commerciales ont constitué autant de raisons pour attirer les Corses acculés à la gêne, parfois à la misère. Mais Marseille des Corses surtout comme à côté de l'autre, malgré les imbrications d'ordre social et humain qui les mêlent. Marseille de la Plaine* où vit Marie, mais aussi voire surtout Marseille du Panier, de l'Evêché, de la Major, de la rue des Muettes et de la Montée des Accoules où vivent les cousins. La ville où l'on a trouvéen débarquant tout un petit peuple Corse qui se tient les coudes et "où on jette un matelas de plus par terre lorsqu'arrive un cousin, les bras chargés de charcuterie du pays."

Des traits caractéristiques de ces exilés surgissent ici et là comme des marques de leur essence: besoin de reconstituer le groupe corse avec ses habitudes et ses traditions, ambiguité vécue de la séduction exercée par la grande ville continentale se heurtant au besoin de l'île, modeste mais réaliste ambition d'améliorer son sort. Et aussi sentiment de la nécessité de l'entr'aide au détriment de l'intérêt personnel (on touche ici au statut psycho-sociologique de l'individu Corse, réalité humaine indissociable de son groupe), enfin hiérarchie très forte de la cellule familiale retrouvée dans l 'exil.

Fine approche psychologique d'une modeste vie mais aussi témoignage vivant, le livre de Michèle Castelli, du reste retenu comme meilleur livre corse de langue française de l'année**, est à ranger au nombre des documents qui servent la vérité de l'histoire moderne du peuple Corse.

*La Plaine: quartier de Marseille. Le Panier, etc.: quartiers populaires de la ville.

**Rue Château-Payan a été récompensé par le Prix du Livre Corse 1985

Vincent AZAMBERTI

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